La danse comme une métaphore de la migration – Entretien avec Filbert Tologo

Originaire du Burkina-Faso, Filbert Tologo est arrivé par la grande porte en Suisse : celle de la culture. Il s’est installé à Genève en 2005 où il poursuit son activité en tant que danseur, chorégraphe, professeur de danse et directeur artistique. Sa pratique est inspirée des danses traditionnelles de son pays et de la danse contemporaine. Sa position privilégiée et prestigieuse d’artiste ne lui fait pas pour autant oublier son statut de migrant, une question au centre de son projet pour Résidences croisées, « Je pars, donc je suis ».

Pouvez-vous me parler du titre de votre projet ?
« Je pars » fait écho au déplacement, à la migration. Je crois que ce thème résonne en chacun de nous. La guerre, des régimes politiques ou le changement climatique poussent des millions de gens sur les routes. Il faut du courage pour quitter son pays ; « Je pars » est une décision qui dénote de la force. Quant à « Je suis », c’est une façon de valoriser l’identité et la culture de chacun. S’intégrer ne signifie pas oublier d’où l’on vient ou ce que l’on est.

La diversité culturelle est un thème qui vous est cher, n’est-ce pas ?
Je dirais plus largement que c’est la rencontre. Ce thème est dans l’ADN de Résidences croisées et c’est pour cela que j’ai eu un coup de cœur pour ce projet de l’Hospice général.

Comment s’est déroulé le vôtre ?
En juin, j’ai animé un atelier de danse au centre d’hébergement collectif de Bois-de-Bay. Celui-ci était essentiellement fréquenté par des femmes qui, pour certaines d’entre elles, n’ont pas l’habitude de danser ou de bouger. C’était très intéressant de travailler avec des personnes d’autres cultures et je me sens récompensé lorsque l’envie de découvrir une pratique persiste en dépit de sensibilités différentes. Ces femmes n’ont pas voulu participer au spectacle sur scène, mais certaines d’entre elles ont accepté d’être filmées. Nous ne montrons pas leur visage dans la vidéo pour respecter leur intimité et elles sont d’accord que ces images soient projetées au spectacle.

J’ai poursuivi l’atelier au Grütli avec plusieurs femmes – notamment deux jeunes Ukrainiennes, une Syrienne et une Colombienne – ainsi qu’un Angolais. Le thème du projet nous a rattrapés. En effet, à la troisième répétition, Tinta, la femme colombienne, m’a informé qu’elle avait reçu l’ordre de la Confédération de quitter la Suisse avec sa fille. Cette dernière est parfaitement intégrée à l’école et est très triste de quitter ses enseignants et ses amis. En tant qu’artiste, je ne peux pas juste fermer les yeux sur une telle situation. Le témoignage de Tinta et de sa fille sera également diffusé au spectacle.

J’imagine que le niveau de danse est très différent d’une personne à l’autre. Comment gérez-vous cela ?
Ce qui est important, c’est de garder de la cohérence dans la performance, c’est-à-dire de ne pas perdre de vue la ligne directrice du projet, « Je pars, donc je suis ». Les jeunes femmes ukrainiennes ont déjà un certain niveau de danse, je leur dis parfois « C’est trop dansé ! », la technique n’est en effet pas l’enjeu de cette performance. Le but est de montrer l’élan et l’inventivité de chacun sur la thématique choisie.

Que retirez-vous de cette expérience ?
Grâce à Résidences croisées, j’ai rencontré beaucoup d’artistes suivis par l’Hospice général. Certains d’entre eux ont eu des parcours de vie difficiles, mais ils ont aussi beaucoup de potentiel et je pense qu’il y a des synergies à créer. Les bénéficiaires ont, eux, de nombreuses démarches à effectuer et cela constitue souvent un frein dans leur engagement à un projet comme le mien. La culture est un ciment social, mais il faudrait, me semble-t-il, développer une approche différente en laissant aux bénéficiaires plus de liberté.

J’aimerais pouvoir montrer le spectacle dans d’autres lieux, par exemple dans les centres d’hébergement collectif. J’espère qu’il y aura une suite à Résidences croisées, c’est un très beau projet auquel j’ai beaucoup aimé participer.

Propos recueillis le 1er septembre 2023