Un artiste à l’écoute – Interview de Thomas Schunke

Passionné d’arts visuels et de musique, intellectuel et curieux, Thomas Schunke a un beau parcours universitaire à son actif. Il a enseigné et travaillé comme monteur et réalisateur tout en poursuivant son travail artistique. Son chemin, en partie modelé par son positionnement d’objecteur de conscience dans les années 80, l’a conduit de Heidelberg à Genève, en passant par Berlin.
Depuis quelques années, il anime L’Atelier En Marge, un espace artistique ouvert aux personnes souffrant de divers problèmes de santé mentale. C’est dans ce lieu qu’il a accueilli les participants au projet Tout est possible qu’il a imaginé pour Résidences croisées.

Le projet que vous avez conçu pour Résidences croisées est très ouvert puisque vous avez proposé aux participants de créer des œuvres en choisissant le médium artistique de leur choix. Comment se sont passées les rencontres ?
Cinq personnes étaient présentes à la première rencontre. Je me suis vite rendu compte cependant que nous aurions quelques difficultés à communiquer car il y avait des personnes ukrainiennes qui ne parlaient ni l’anglais, ni le français. Lors de la première séance, je leur ai présenté mon travail et l’humour, qui est souvent présent dans mes œuvres, a brisé la glace. Cependant, la barrière linguistique a dû décourager deux personnes car elles ne sont pas revenues.

Photo : Isabelle Meister
“Fins des mois”, oeuvre de Thomas Schunke Photo : Thomas Schunke

Qu’en est-il des rencontres suivantes ?
J’ai vraiment été confronté à la réalité de ces personnes. Certaines d’entre elles avaient de la difficulté à libérer du temps pour venir à l’atelier car venant d’arriver à Genève, elles avaient de nombreuses démarches administratives à accomplir. Une autre femme ukrainienne était, je pense, en état de choc. Elle m’a montré la photo de sa maison détruite. Pour l’aider à se sortir de cet état, je lui ai proposé des exercices car quand on se sent mal, il est plus facile de suivre des consignes que de se lancer dans un travail créatif libre. En quatre heures, elle n’a pu couvrir que de quelques petits traits une très grande feuille blanche. C’était impressionnant ! Il y avait également une femme mongolienne, seule avec deux enfants en bas âge. Je sentais que cette situation était très compliquée à vivre pour elle d’un point de vue social, sans compter les problèmes pratiques de garde d’enfant.

Comment a évolué le groupe au fil du temps ?

Seul un jeune homme a suivi l’atelier jusqu’au bout. Il s’appelle Pascal et souffre de problèmes de santé. Malgré un état fluctuant, il est venu à l’atelier deux fois par semaine pendant trois mois.

J’ai établi un rapport de confiance avec lui. Je connais tout ou presque de sa vie, une vie compliquée et marquée par le deuil dès l’enfance. Sa première peinture représente d’ailleurs un volcan.

Il s’est ensuite concentré sur un triptyque de masques, une façon bien sûr de travailler sur son identité. C’est un garçon féru de vie nocturne et de danse ; il aimerait réaliser une performance devant son triptyque, ce qu’il ferait, j’en suis sûr, avec beaucoup d’aisance.

Masque réalisé par Pascal –
Photo : Thomas Schunke

Que retirez-vous de ce projet ?
Tout est possible a permis à Pascal de prendre conscience de son potentiel créatif. Il travaille d’ailleurs maintenant comme assistant dans un atelier de sérigraphie.
Je pense qu’il est très important que les gens puissent exprimer par l’art leur souffrance et cela ne doit pas être réservé aux artistes. L’Hospice général devrait offrir une structure artistique permanente aux personnes qu’il accompagne car leur réalité est souvent très dure.

Propos recueillis le 17 juillet 2023

Baguette de pierre, oeuvre de Thomas Schunke
Photo : Thomas Schunke