Isabelle Klaus : Auto-control

Comment vous est venue l’idée du travail artistique que vous développez pour les Résidences croisées ?

Il y a quelques années, j’ai reçu la visite domiciliaire d’un inspecteur de l’Hospice général. Il est resté chez moi durant trois heures. J’avais trouvé scandaleuse cette intrusion dans ma sphère privée et suis restée marquée par la façon dont les personnes assistées sont contrôlées.

Pourquoi, justement, avoir choisi le titre « Auto-control » ?

A l’instar des personnes vivant sous une dictature, nous avons tendance à intérioriser la loi. Cela m’avait frappée de voir à quel point ma belle-mère, qui est égyptienne, avait intériorisé la censure. De mon côté, j’ai le sentiment que les personnes assistées sont considérées comme bonnes à rien par l’institution qui les aide. Cela devient très insidieux, parce que l’on finit par s’auto-contrôler et par se conformer à notre environnement pour ne plus être pointé du doigt et stigmatisé.

Pour réaliser votre projet, vous avez demandé de consulter le dossier administratif que l’Hospice général détient sur vous en qualité de bénéficiaire de ses prestations sociales. Qu’y cherchiez-vous ?

Je cherchais à mettre en évidence ce que je considère comme les délires de la société administrée. Les travaux de l’anthropologue américain David Graeber ont beaucoup influencé ma réflexion. Par exemple, les rituels de deuil dans nos sociétés consistent maintenant à remplir des dossiers, l’humain passant au deuxième plan.

Je désirais également souligner à quel point le système est infantilisant et stigmatisant. A cette fin, j’ai recherché les termes d’injonction liés au contrôle dans les documents constituant le dossier auquel j’ai pu avoir accès. Ces termes finissent parfois par devenir anxiogènes en raison des menaces implicites qu’ils contiennent. J’ai d’ailleurs vérifié cela dans la correspondance qui m’a été adressée par diverses administrations publiques.

Quelle forme va prendre votre projet artistique ?

Je vais censurer les archives que j’ai été autorisée à photocopier afin de les rendre anonymes et faire en sorte que ces documents puissent concerner tout le monde. Il y aura donc une série de documents A4 dans lesquels on ne verra apparaître que quelques mots.

Ce que j’ai trouvé particulièrement intéressant est le glissement qui s’est opéré pendant ce travail. En effet, je ne savais plus si je me rendais au centre d’action sociale en qualité de plasticienne ou de bénéficiaire. Cette fois, c’était moi qui demandais des rendez-vous à mon assistant social. Cela a influencé la façon dont je me sentais regardée. De même, c’est à sa place de travail que je me suis assise pour consulter mes archives. Ce glissement, je l’ai documenté en me faisant filmer lors de cette consultation. En regardant les images de la vidéo, je trouve cela ennuyeux à mourir et c’est parfait, ça correspond à ma perception de la situation.

Dans quelle mesure ce travail s’inscrit-il dans la lignée de ce que vous aviez fait auparavant ?

J’ai toujours utilisé des événements perturbants de ma vie privée pour créer. Cette résidence m’a permis de reprendre ma recherche sur la société administrée que j’avais commencée il y a quinze ans, notamment en Egypte. Cela m’a peut-être aussi permis de boucler une boucle : je ne suis aujourd’hui plus bénéficiaire de l’aide sociale et je me lance dans un nouveau projet artistique d’envergure.