Pour Résidences croisées, Rodolfo Gallego a réalisé des portraits de bénéficiaires de très grand format. Leur particularité : les modèles ont tous posé les yeux clos. Paradoxalement, cela confère beaucoup de puissance à ces visages.
En préambule, pourriez-vous nous dire deux mots de votre parcours ?
Je suis né au Chili. J’ai étudié la peinture à la Faculté d’Art de l’Université du Chili puis je me suis spécialisé en arts graphiques à Barcelone et à Genève, ville où je me suis installé pour des raisons de cœur. J’ai travaillé comme graphiste indépendant pendant de nombreuses années, notamment pour de grandes entreprises, tout en poursuivant mon travail artistique et en exposant régulièrement.
Quels sont les artistes qui vous ont influencé ?
L’artiste qui a le plus compté pour moi est sans doute Willem de Kooning, précurseur de l’expressionnisme abstrait. Mais ce n’est évidemment pas le seul, la liste est longue. Je pense notamment à Basquiat et au sculpteur et graveur Jaume Plensa dont j’aime énormément les dessins.


Pour Résidences croisées, vous avez réalisé des portraits de bénéficiaires de l’Hospice général qui ont posé pour vous les yeux clos. Comment se sont passées ces rencontres ?
Deux personnes m’ont particulièrement impressionné. Il s’agit de Berat, un Turc qui venait d’arriver à Genève et qui m’a raconté tout son périple pour venir jusqu’en Suisse, et d’une Suissesse, Joëlle, qui a une pratique de l’art dans un but thérapeutique. Les autres personnes ne parlaient pas du tout le français, les échanges verbaux ont donc été limités.

Comment se sont déroulées les prises d’image ?
J’ai rencontré les participants les uns après les autres dans une salle du centre d’hébergement collectif de Rigot. Chaque séance était constituée d’un moment d’échange, de prise de photos et d’images (je laissais tourner une caméra pendant toute la durée de l’entretien). Je leur demandais de garder les yeux fermés pendant deux minutes. Cela n’a l’air de rien, mais poser les yeux clos devant un inconnu, je peux vous dire que ce n’est pas évident. Chez certains, le silence faisait ressortir la souffrance. J’ai senti cela parfois très fort, notamment chez une femme ukrainienne.
Pourquoi avoir choisi de faire poser les gens les yeux clos ?
Cela permet de donner libre cours à l’imagination de celle ou celui qui regarde. Plus vous connaissez une personne, plus l’image que vous vous faites d’elle est précise et réduit le champ des possibles.
Vous vous mettez en quelque sorte dans la position du spectateur ?
C’est exactement cela, je suis dans la même situation que le public qui découvrira les portraits de ces personnes.


Vous avez réalisé des portraits en grand format avec des petits motifs et des couleurs vives. Pouvez-vous me dire quelques mots de la technique employée ?
Je suis parti d’une photo imprimée en très grand format que j’ai décalquée puis travaillée avec de la peinture synthétique et avec des feutres Posca pour les séries de petits motifs. Cela exige beaucoup de minutie, c’est un travail que j’aime beaucoup. C’est comme un mantra que je répéterais pendant des heures ; une fois que je commence, cela vire presque à l’obsession !
Pourquoi avoir choisi une technique si exigeante ?
C’est par respect pour ce que les gens qui ont posé m’ont donné. C’est une façon de les valoriser et de rappeler que toute personne a de la valeur, quelle que soit son statut social.
Que retirez-vous de cette expérience artistique ?
Grâce à la collaboration de l’Hospice général avec l’association Ressources urbaines, j’ai pu disposer d’un atelier pendant six mois et j’ai été très productif pendant cette période. J’ai depuis repris mes recherches d’atelier. A la maison, je ne peux travailler que des petits formats.
Au cours de ce travail, j’ai découvert le potentiel de ces feutres Posca et enfin et surtout, j’ai pu travailler un nouveau genre pour moi, celui du portrait. Cela m’a donné envie de poursuivre cette exploration.

Propos recueillis le 13 juillet 2023